17. (pour Ela)

- c'était comment, alors, le monde d'avant l'ouverture,
d'avant la fenêtre, d'avant l'écran ?
- ça attendait d'être habité & d'être vécu,
d'être lu & d'être dit, d'être livré aux brouillons
au fil de la parole, halleluia couillon !
cette corde infinie sur laquelle on pince des pièges de sens à sécher ;

le seul fil méritant d'être coupé
c'est le cordon ombilical qui a étranglé le premier
enfant d'une amie, une fille, la pire nouvelle
apprise depuis pas assez longtemps
au pli d'une journée pleine de rencontres,
me ramenant à cette inconnue, cette sœur oubliée
qui aurait été mon ainée, morte en naissant, aussi, née de trop _~
ombre trouée

et le monde sans ceux qui n'ont pas vécu leur temps
n'est vraiment rien si on ne les y inscrit pas
fût-ce dans le cours d'un poème alors que joue
Milagre dos Peixes, cet album magnifique
de Milton Nascimento, reçu de Suède aujourd'hui,
censuré par le régime dictatorial brésilien régnant en 1973
qui obligea son auteur à en effacer partiellement les voix,
d'où ce miracle des poissons, ce chant muet en avant,
ce disque niché dans sa pochette ; une fois dépliée, c'est un ovale
où l'on voit au verso une photographie du petit Milton,
chapeauté et costumé pour la pose, et au recto
un bébé porté contre un corps d'homme, protégé
par une main comme jamais à

jamais